Projet médias

Le Service de la Culture de la Ville de Bruxelles cherche à créer de nouvelles connexions, entre art et social. Persuadée que les jeunes ont des idées à exprimer, notre équipe a demandé à Sylvain Anciaux d’animer des ateliers pour accompagner des groupes de jeunes à formaliser leur discours. Sylvain Anciaux est journaliste, formé à l’IHECS. Maîtrisant la photographie, l’art de l’interview, le montage vidéo et l’écriture, Sylvain a mis à contribution son savoir pour le partager avec des jeunes. Via l’organisation de jeunesse JES, il a été mis en relation avec un groupe de jeunes des 5 blocs, Brian, Benjamin, Hajar et Saïda, puis avec les groupe des Chicagettes, grâce à Yasmina Ben Hammou, animatrice à la MJ Chicago. Une histoire riche d’expériences que Sylvain a pris soin de raconter.  

Les jeunes Bruxellois·e·s ont des choses à dire. Et il·elle·s parlent déjà. En septembre 2020, un groupe de quatre jeunes du quartier des 5 blocs, jouxtant la rue Antoine Dansaert, est créé. Parmi eux·elles, Brian et Benjamin, qui ont déjà un compte Instagram sur lequel ils postent des sketchs, des clips, des histoires à leurs (plus de) mille abonnés. Avec Hajar et Saïda, le quatuor avait envie de concrétiser les choses, de passer à la vitesse supérieure, d’apprendre de nouvelles techniques, et d’aborder des sujets de fond.

Ça tombe bien, le quartier des 5 blocs est face au plus grand changement de son histoire. Bientôt, les cinq tours érigées sur la dalle seront détruites et le quartier repensé. Les quatre jeunes (entre 18 et 23 ans) veulent laisser une trace, raconter en quelques minutes soixante ans d’histoire, et exprimer leurs inquiétudes quant au nouveau projet urbanistique.

Pour dynamiser le projet, j’incite le groupe à se lancer dans un concours organisé par france.tvslash (l’organe web de France télévisions) et le média Yard, intitulé « Filme ton Quartier ».  Le cadre : 3 minutes pour raconter le fait d’ « avoir vingt ans en 2020 ».

En trois mois, le groupe a appris à construire un mini-documentaire, à le filmer, à écrire une voix-off, et à le monter. Fiers d’un résultat vu plus de 5000 fois sur Youtube, Saïda, Hajar, Bryan et Benjamin ont consacré plusieurs après-midi afin de mener ce projet à bien. La candidature sera retenue parmi le top 30, mais malheureusement pas pour le top 10, qui ouvrait la porte à des bourses d’écriture.

Vidéo réalisée par Brian, Benjamin, Hajar, Saïda et Sylvain dans le cadre du projet médias

Les quatre jeunes avec lesquels j’ai travaillé connaissent leur quartier autant qu’il·elle·s l’aiment, et avaient à cœur d’en parler. En termes de dynamique, la participation à un concours et le fait de recevoir l’avis de professionnel·le·s étaient importants, tout comme la volonté de rendre hommage aux cinq blocs, à ceux et celles qui le font vivre. J’aimerais également remercier Océane Lestage, assistante médiation à la Ville de Bruxelles, pour l’aide précieuse apportée au projet et à la cohésion de l’équipe.

« J’ai appris qu’il ne s’agissait pas seulement de la démolition des 5 blocs. Derrière ça, il y a tout un enjeu. C’est là que j’ai commencé à me renseigner et à me rendre compte qu’une partie des habitant·e·s allait être relogée dans des quartiers éloignés du centre, alors qu’il·elle·s ont toujours vécu dans le centre, mais aussi que certain·e·s habitant·e·s vivaient dans des logements avec des fenêtres cassées depuis longtemps. On se rend vite compte que les conditions de vie sont insalubres. C’est en rencontrant les gens que j’ai pu apprendre tout ça. […] Je pense que si c’était à refaire, je le referais, mais je n’aurais pas la même position. Ça ne serait pas une vidéo informative mais plutôt revendicative. » – Hajar

Résumer le projet des Chicagettes en la parution d’un article dans le trimestriel serait erroné. Dans les  rencontres, les échanges et les débats, avec des jeunes filles de (presque) mon âge, mais aux origines socio-culturelles différentes, il était là, le vrai enrichissement. Depuis notre rencontre, chacune dans le groupe a évolué, a appris de l’autre, de même pour moi. Si elles n’ont pas toutes participé au produit fini, il s’est, quant à lui, nourri des échanges qui ont rythmé l’année.

Au départ, les filles avaient pour ambition de créer une petite série documentaire sur la lutte des femmes face aux violences policières que leurs proches subissent. Si le projet initial des Chicagettes n’est pas allé à son terme, elles ont, toutefois, appris à adopter une approche journalistique dans le traitement d’un sujet. Merci à Yasmina Ben Hammou, qui a impulsé une énergie, et facilité énormément de choses pendant cette année de travail.

Les Chicagettes, c’est un collectif de filles issues du quartier Chicago et ses alentours. Ensemble, Yousra, Myriam, Meryem et Imane participent activement à la vie socio-culturelle de ce quartier situé entre les stations de métro Yser et Sainte-Catherine. Les quatre filles se sont lancées dans le projet de raconter comment les violences policières impactent l’entourage féminin des victimes. Pendant un an et demi, elles ont rencontré différentes personnes, liées de plus ou moins près à la thématique. Il y a eu Petya, un député bruxellois; Latifa, fondatrice du collectif des Madrés; M, un policier; J, un policier retraité et passé par le Comité P; A, dont les violences policières ont impacté le vécu familial.

 

Le groupe se réunissait plusieurs fois par mois pour échanger, débattre, essayer de se projeter dans un objet médiatique. Et puis, à l’annonce du trimestriel Médor qui organise chaque année une « bourse d’inclusion », j’ai proposé aux filles de répondre à l’appel et la rédaction du magazine  les a sélectionnées. Le projet vidéo se mue alors en un projet écrit, et les Chicagettes de se répartir leurs nombreux projets, conférant la destinée du sujet à Myriam.

« Ces moments ont eu un réel impact car j’étais une personne qui sortait peu de chez-elle. L’atelier avec les Chicagettes et Sylvain m’a vraiment ouverte au monde. J’ai tellement aimé avoir des activités extra-scolaires que j’ai continué à en faire de plus en plus. Aujourd’hui je suis ambassadrice dans une initiative de leadership au féminin. » – Myriam

Au final, les deux expériences étaient complètement différentes. D’un côté, le groupe des 5 blocs était déjà « rôdé » à l’exercice de filmer et de raconter leur univers. Ce dont il·elle·s avaient besoin, c’était d’une assistance technique, de trouver une structure. Et l’impact dans le quartier, auprès des autres jeunes, du Projet de Cohésion Sociale, des travailleurs de rue, était palpable.

Concernant les Chicagettes, elles avaient besoin d’un cadre qui leur permettre de prendre un sujet, d’en déconstruire les préjugés, d’apprendre à s’informer, et puis de le mettre en confrontation avec d’autres réalités. Ici, l’impact du travail s’est avant tout ressenti individuellement, dans une construction plus personnelle.

Projet Polaroid

Lors de chaque rencontre (ou presque) avec les jeunes des cinq blocs, comme avec les Chicagettes, nous profitions d’aller faire un tour dans le quartier, armés d’appareils photo instantanés. Deux règles étaient imposées : prendre en photo une personne, et faire attention à son environnement. Un·e pote, une figure bien connue du quartier, un travailleur·euse, des étudiant·e·s… Peu importe. L’important était de faire ressortir « une gueule » (ou plus) et de sentir l’énergie du lieu où le cliché est pris. Parfois, ça ratait. Et puis, quand les jeunes ont compris qu’il fallait prendre le temps, échanger quelques mots avec le sujet, lui demander son nom, ce qu’il·elle faisait là, ce qu’il·elle aimait dans ces rues, le cliché ne manquait presque jamais.

Avec les Chicagettes en particulier, l’exercice a donné lieu à des échanges avec des inconnu·e·s qui, à leur tour, prenaient la peine de rencontrer celles avec qui il·elle·s partageaient le quartier. Car souvent, le·la photographié·e demandait à voir la photo une fois développée, ce qui met une minute à environ à se produire. Pendant soixante secondes minimum s’installait une discussion, un échange. Une fois les quelques secondes de silence gêné passé, les deux inconnu·e·s tentaient, par réflexe, de trouver un point commun sur lequel échanger. En l’occurrence : l’espace public dans lequel ils·elles se rencontraient, se recommandaient une bonne adresse locale, se trouvaient des connaissances communes, développaient sur ce qui devrait être amélioré, ou ce qui est agréable. Et cet échange de rester finalement gravé (à jamais) sur le film du Polaroïd…

Un immense merci à Brufête et son équipe composée de Nancy Galant, Marion Chourane, David Elchardus, Patricia Balletti, Océane Lestage et Romane Beau pour leur encadrement précieux pendant ces nombreux mois de travail et d’échange.